Tacite by Grimal Pierre

Auteur:Grimal, Pierre [Grimal, Pierre]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Fayard
Publié: 1990-03-20T23:00:00+00:00

CHAPITRE VIII

Les mois les plus longs

Le nouveau cycle de Rome, qui devait conduire au « siècle bienheureux » de Nerva et Trajan, avait commencé par un bouleversement général, qui sembla, un moment, sur le point de conduire l'Empire à sa perte. En annonçant son intention de rapporter l'histoire de ces temps troublés, Tacite analyse la situation dans la Ville, les armées, les provinces, pour, dit-il, « faire connaître non seulement les péripéties et l'issue des événements, qui sont le plus souvent fortuites, mais aussi leur enchaînement rationnel et leurs causes550 ». On peut conclure de cette intention que, pour Tacite, l'histoire se déroule sur deux plans : tout en haut, les grandes forces cosmiques qui entraînent toute chose dans un éternel recommencement, puis, en notre monde sublunaire, des causes particulières, discernables à notre raison, dont le jeu peut n'être pas intelligible a priori, mais le devient après qu'elles ont agi, et c'est alors le rôle de l'historien de les démêler dans le désordre des choses et d'en rendre compte. Cette intention de Tacite, qu'il affirme au début des Histoires, c'est-à-dire au début de son œuvre historique, se retrouvera dans les Annales; elle est essentielle à sa démarche551.

La distinction entre les causes générales et les faits contingents, fortuits, l'idée que ceux-ci, en dépit de leur gratuité, finissent par s'ordonner et s'intégrer dans un plan universel ne saurait nous choquer. La science moderne nous enseigne qu'il en est bien ainsi pour maints phénomènes, de l'atome aux étoiles. De même, Tacite pense que le Fatum, le Dostin, est irrésistible, et qu'il se réalise à travers les actes des hommes, leur aveuglement et leurs passions. C'est ainsi que Galba, lorsqu'il présenta Pison aux prétoriens, ne tint pas compte des présages, pourtant évidents, qui se produisirent alors552, « ne tenant pas compte de circonstances de cette sorte, les jugeant accidentelles, ou peut-être parce que ce que le destin nous réserve, a beau être annoncé, on ne peut l'éviter »553. Telles sont les limites de la liberté humaine : un acte donné est libre, il peut, selon la volonté de chacun, être ou ne pas être, mais il s'insère dans une causalité plus haute, qui ne dépend de personne, peut-être même pas des dieux.

Plus tard, dans les chapitres des Annales où Tacite dira comment Tibère se plaisait à consulter les astres554, il s'interroge sur les différentes manières de se représenter le destin et conclut que l'astrologie, même si elle est souvent tombée entre les mains de charlatans, n'en a pas moins prouvé, dans le passé et au temps même de Tacite, par d'éclatants exemples, la valeur et l'exactitude de ses prédictions555.

Quoi qu'il en soit, les Histoires ont pour objet d'exposer le jeu des causes humaines qui ont provoqué la guerre civile et l'avènement des Flaviens. A aucun moment Tacite n'invoquera une action des divinités, qui auraient pris parti pour tel ou tel. C'est la Fortune, capricieuse, aveugle, qui mène les affaires humaines, même si le résultat final est, de toute éternité, inscrit dans les astres.

Les Histoires sont donc une monographie, qui retrace le début et la fin d'une révolution.

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